Vivre confortablement dans 40 m², c’est possible
Face à ces nouvelles contraintes, des solutions existent. Et le mobilier joue un rôle central. Le groupe japonais Muji, expert du minimalisme, ne s’y est pas trompé. En 2019, il collabore avec l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne) pour concevoir une gamme d’objets pensée pour les petits espaces. A travers des chaises, tabourets ou étagères astucieusement conçus, ce projet privilégie modularité, finesse et multifonctionnalité.
«Dans un petit logement, chaque objet compte. Il influence notre humeur et notre quotidien», explique Stéphane Halmaï-Voisard, responsable du bachelor en design industriel à l’ECAL. Florence Tatti partage cette approche et préconise un intérieur épuré, composé de quelques pièces soigneusement sélectionnées. Son conseil: favoriser des aménagements multifonctions. «Par exemple, un linéaire de rangements comprenant un bureau escamotable, qui fait aussi office de cloison légère.»
Modularité, mobilité, mutation
Cette quête d’adaptabilité n’est pas nouvelle. Javier Fernandez Contreras, responsable du département d’architecture d’intérieur à la HEAD – Genève, rappelle que ces réflexions ont émergé dès les années 1960. Mais aujourd’hui, une nouvelle donne s’ajoute: l’ultramobilité des individus. «Nous vivons dans une société liquide, pour reprendre l’expression du philosophe Zygmunt Bauman, où les liens sont plus flexibles que durables, tant sur le plan personnel que professionnel.»
Cette instabilité se manifeste par des déménagements fréquents et une relation au logement plus temporaire. Le design sur mesure coexiste avec des aménagements d’espace parfois transitoires, souvent commandés en ligne. En Suisse, cette réalité est exacerbée par une pénurie de logements, notamment à Genève. Cette situation a entraîné une transformation des espaces de vie et favorisé les processus d’adaptation des habitats collectifs existants pour répondre à de nouveaux besoins et modes de vie.
Ces évolutions ont été étudiées en profondeur à la HEAD avec le projet «Renouveler la ville depuis l’intérieur». «Cette étude nous a permis de comprendre en détail l’émergence de nouvelles configurations domestiques: personnes vivant seules, colocataires choisis ou communautés sans lien de parenté.»
Concevoir avec précision
Dans ce contexte, l’architecture se fait chirurgie de l’espace. Le bureau d’architecture lausannois a-rr., spécialisé également en design d’intérieur, en a une expérience directe. Noémie Goldman, architecte EPFL, et Jean-Patrick Chatelain, designer d’intérieur, tous deux associés du bureau, conçoivent des logements à loyer abordable où chaque centimètre est pensé, optimisé, exploité.
«Il faut parfois choisir une porte affleurée sans cadre pour avoir juste la place d’intégrer une armoire, ajuster une cloison pour insérer un lit: l’aménagement nécessite une extrême précision», explique Noémie Goldman. Mais cette rigueur technique s’accompagne d’un soin particulier porté à la perception de l’espace. Pour éviter l’effet d’enfermement, la spécialiste privilégie les ouvertures toute hauteur et crée des lignes de fuite visuelles vers l’extérieur. L’espace se prolonge, s’ouvre, respire.
Jean-Patrick Chatelain s’attache à identifier et à éliminer les frictions, ces discontinuités qui rompent la fluidité spatiale et altèrent la qualité d’usage et le bien-être. Il veille notamment à éviter les transitions abruptes de matériaux, les seuils trop marqués ou les variations de niveau non maîtrisées. Par une recherche rigoureuse d’homogénéité dans les ambiances et de cohérence dans le choix de matériaux authentiques, il favorise une perception unifiée de l’espace, génératrice de confort et de confiance. Pour lui, la contrainte constitue un levier essentiel d’innovation architecturale.
Eclairage à soigner
Autre principe fondamental pour le bureau a-rr.: la qualité des matériaux ainsi que leur valeur environnementale. «Mieux vaut peu d’éléments, mais bien choisis», insistent les architectes. Le bois, par exemple, conserve sa noblesse et sa durabilité là où des imitations plastiques s’abîment et banalisent l’intérieur. L’acoustique aussi est pensée: rideaux, tapis et ameublement absorbent les sons, adoucissant l’atmosphère.
Jean-Patrick Chatelain note que l’éclairage, imaginé comme un élément actif, s’ajuste aux fonctions successives d’un espace, en évoluant au fil de la journée, au gré des besoins et des utilisations. La couleur, enfin, agit directement sur le bien-être: Florence Tatti recommande des teintes claires qui réfléchissent la lumière et agrandissent visuellement les volumes.
Une dernière remarque s’impose: si l’optimisation de petits espaces s’inscrit dans une démarche louable de sobriété et de durabilité, la tendance à la mobilité accélérée, à la consommation rapide de mobilier et aux achats compulsifs en ligne soulève des questions écologiques. Le logement, espace de vie et de sens, devient aussi terrain de paradoxes.