Liberté économique et sobriété carbone : une analyse des grands émetteurs mondiaux

Dans un article publié le 21 mars dans le Journal des Libertés, Erwan Queinnec, universitaire et maître de conférences en gestion à l’université de Paris 13, se plonge dans un débat passionnant : est-ce que la liberté économique — avec ses marchés, ses entreprises et ses innovations — peut vraiment contribuer à une réduction significative des émissions de CO₂ ? Pour y répondre, il s’est penché sur un panel de 53 pays, parmi les plus grands émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre, en scrutant leurs trajectoires économiques et environnementales entre 1990 et 2022. Ce qui ressort de l’étude est loin d’être un simple lien mécanique entre croissance et pollution : il s’agit plutôt d’un faisceau complexe où la libéralisation économique, la structure démographique et la qualité du capital humain jouent des rôles décisifs.
Parmi ces pays, certains se distinguent par ce que l’étude qualifie de « surperformance ». On y trouve par exemple la Roumanie, la Pologne, la République tchèque, la Chine, Taïwan, le Myanmar ou le Kazakhstan. Leur point commun ? Une croissance soutenue du PIB par habitant, associée à une réduction, ou du moins une très faible augmentation, de leurs émissions de CO₂. Concrètement, ces pays sont parvenus à produire davantage de richesses pour chaque tonne de carbone émise : c’est ce qu’on appelle l’amélioration de l’efficacité carbone. Derrière ce succès, plusieurs leviers apparaissent. D’abord, une politique assumée de libéralisation économique, avec privatisations, déréglementation et ouverture au commerce international. Ensuite, un investissement massif dans le capital humain – éducation, formation, recherche – qui a permis d’accroître la productivité et de soutenir l’innovation, notamment dans des secteurs moins gourmands en énergie fossile. Enfin, une démographie relativement stable, voire légèrement déclinante, qui évite la pression supplémentaire sur la demande énergétique.
À l’opposé, l’étude pointe aussi des pays « sinistrés », bloqués dans une spirale où la croissance est quasi nulle, tandis que les émissions restent élevées et l’efficacité carbone piétine. Ces pays n’ont pas su – ou pas pu – tirer parti de la libéralisation pour moderniser leur économie et réorienter leurs activités vers des secteurs plus sobres en carbone. Ils restent prisonniers d’un modèle productif intensif en énergies fossiles, souvent aggravé par une faible qualité institutionnelle ou des difficultés politiques internes.
Un élément essentiel que souligne l’étude est qu’une plus grande liberté économique, entendue comme un ensemble cohérent de règles favorisant la concurrence, la protection de la propriété privée et la liberté d’entreprendre, n’implique pas nécessairement plus d’émissions. Au contraire, cette liberté peut se traduire par une meilleure allocation des ressources, un recours plus efficace aux technologies propres et un décloisonnement des marchés favorisant les innovations bas-carbone.
Erwan Queinnec insiste sur le rôle fondamental du capital humain et de la productivité : une société plus instruite et plus qualifiée est capable d’adopter rapidement des technologies plus performantes et de faire évoluer ses modes de consommation et de production. C’est dans cet équilibre subtil entre liberté économique, investissement dans la connaissance et régulation adaptée que certains pays ont su conjuguer prospérité et sobriété carbone. À rebours des discours simplistes, l’étude montre que croissance et réduction des émissions ne sont pas forcément antagonistes ; elles peuvent même se renforcer mutuellement, si la transformation économique est bien conduite et si la population adhère au projet collectif d’une économie plus verte et plus efficace.
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