Les médias français adorent détester les Gafam… qui leur sont pourtant indispensables

Figurez-vous que la France est le seul pays au monde, à l’exception de la Corée du Nord, où AI Overviews n’a pas encore été lancé. AI Overviews, c’est une fonctionnalité de recherche de Google qui utilise l’intelligence artificielle pour générer des réponses personnalisées directement en haut des résultats de recherche. Ce nouvel outil fait peur à la presse française qui, à force de vouloir se protéger de tout, pourrait finir par disparaître.
La Commission européenne déteste tant ceux que l’on appelle les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) que les agences et éditeurs de presse n’ont pas eu à faire un lobbying forcené pour obtenir une directive (17 avril 2019) instaurant des « droits voisins du droit d’auteur » à leur profit. Elle fut transposée en droit français par la loi du 24 juillet 2019 et permet donc aux éditeurs de journaux, magazines et aux agences de presse de se faire rémunérer lorsque tout ou partie de leurs contenus – comme les extraits de presse affichés dans les pages de résultats – sont réutilisés sur Internet par les grandes plateformes.
Des amendes sévères… et contestables
Après ce que l’on peut appeler un bras de fer, Google et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) signèrent un accord en janvier 2021 permettant au moteur de recherche de se conformer à la loi. Mais cet accord fut remis en cause par l’Autorité de la concurrence qui jugea, en juillet 2021, que le géant américain n’avait pas négocié « de bonne foi » et le condamna à 500 millions d’euros (M€) d’amende. Un nouvel accord entre les parties fut trouvé en mars 2022. L’Autorité de la concurrence condamna pourtant encore Google, en mars 2024, à 250 M€ pour non-respect de plusieurs engagements liés aux droits voisins. Une décision qui a été prise après une procédure de transaction au cours de laquelle Google s’engagea à ne pas contester les faits.
Pourtant, ces amendes sont bel et bien contestables. A partir du moment où les parties se sont entendues, il n’est pas admissible qu’une autorité administrative vienne, de son propre chef, remettre en cause l’accord. Ainsi va le droit des contrats en France au XXIème siècle !
D’ailleurs, l’entreprise américaine a indiqué qu’elle considérait le montant de l’amende disproportionné au regard des manquements relevés par l’Autorité de la concurrence (ADLC). Elle a souligné aussi que l’ADLC ne tient jamais compte du fait que Google est la seule plateforme à avoir signé des accords de licence significatifs au titre des droits voisins avec 280 éditeurs de presse français – couvrant plus de 450 publications – pour leur verser plusieurs dizaines de millions d’euros par an.
nfin Google a pointé l’absence de mesures réglementaires claires depuis l’entrée en vigueur de la loi et des actions en justice successives qui complexifient les négociations avec les éditeurs et l’empêchent de « considérer sereinement » ses investissements futurs dans le domaine de l’information en France.
Prenons un exemple : la loi demande que soit prise en compte, lors de la conclusion d’accords sur les droits voisins, la certification IPG (« Information politique et générale ») que les éditeurs de presse obtiennent s’ils contribuent effectivement à l’information politique et générale. Or, à la demande de l’ADLC, Google a été contraint de conclure des accords avec des éditeurs non certifiés IPG, tels que programme-tv.net, voici.fr, journaldesfemmes.fr, voilesetvoiliers.ouest-france.fr, jeuxvideo.com ou allocine.fr. Aujourd’hui, près de la moitié des quinze rémunérations les plus importantes sont versées à des publications qui ne contribuent pas à « l’information politique et générale ».
Un nouvel accord signé en janvier 2025
Le feuilleton continue néanmoins et, en janvier 2025, Google et l’Apig ont annoncé le renouvellement de l’accord-cadre de 2022. Sera-t-il encore contesté par l’Autorité de la concurrence ? Les parties espèrent que non : « On a mieux identifié l’assiette des droits » dans le nouvel accord, a précisé Pierre Louette, président de l’Apig et, par ailleurs, PDG du groupe Les Échos-Le Parisien. « Il est désormais urgent que l’ensemble des acteurs numériques qui utilisent nos contenus dans l’illégalité se conforment également à leurs obligations en matière de droits voisins » a-t-il ajouté, reconnaissant implicitement que seul Google respecte la loi aujourd’hui !
Ce qui pourrait, en revanche, rendre l’accord caduc et qui effraie les éditeurs de presse, c’est l’intelligence artificielle (IA) et plus précisément les fonctionnalités de recherche qui utilisent l’intelligence artificielle pour générer des réponses personnalisées et détaillées qui finalement ne renvoient plus l’internaute sur les sites de la presse. L’outil de Google, AI Overviews, n’est pour l’instant pas disponible en France car le groupe américain a pris l’engagement auprès de l’ADLC de ne pas introduire de nouveaux produits sur son moteur de recherche afin de ne pas modifier les sources de trafic des éditeurs de presse.
Mais comme il est utilisé partout ailleurs dans le monde par déjà plus d’un milliard d’individus, nous savons ce qui nous attend… et ce qui attend la presse française. Le Figaro ne titrait-il pas, le 7 juillet 2025 : « AI Overviews, le service de Google qui menace l’écosystème médiatique » ? Ainsi le quotidien nous apprend-il que, outre-Atlantique, « le pourcentage de recherches sur le Web se terminant sans clic vers un média est passé à 69% en mai 2025, contre 56% pour le même mois de l’an dernier ». Le trafic organique global vers les sites d’information serait, sur la même période, passé de 2,3 milliards de visites à moins de 1,7. Le Figaro cite le directeur général du mensuel américain The Atlantic pour qui les médias doivent se préparer au « zéro clic », c’est-à-dire la fin des « recherches générant un trafic vers les sites web ».
Même si d’autres médias affirment ne pas avoir subi une chute notable du trafic en provenance des recherches web, la presse française s’affole. Car, comme le reconnaît Sophie Cassam du Parisien, « Nous sommes assez dépendants du trafic Google ». Selon Le Figaro, « Pour les principaux médias français, la part de l’audience issue du moteur de recherche oscille entre 10% et 30% ». Certes, les médias tentent de se préparer à cette évolution en privilégiant, par exemple, des contenus exclusifs ou à forte valeur ajoutée. Mais un observateur, dans Le Figaro, pense que « la perte de revenu est inévitable ». En effet, si le trafic vers les médias baisse, leur part de marché publicitaire va baisser aussi, les rendant moins attractifs pour les marques qui dépenseront leur argent ailleurs.
C’est ainsi que les médias se mettent maintenant à rêver d’un nouvel accord avec Google sur l’IA et d’une nouvelle compensation financière car, un patron de presse cité par Le Figaro l’affirme, « l’IA sonne le glas du cadre des droits voisins que Google était actuellement le seul à encore respecter ».
Les médias sont dépendants des moteurs de recherche
Il y a peu, Google a mené une expérience consistant à supprimer les contenus d’actualité européens pour 1% des utilisateurs dans huit pays de l’UE. Les résultats montrent que les internautes ont alors légèrement moins fréquenté Google (-0,8%), mais que les revenus publicitaires n’ont pas changé de manière significative.
Pour le dire autrement, les contenus d’actualité européens dans la recherche Google n’ont pas de retombée mesurable sur ses revenus publicitaires. En fait, les utilisateurs continuent de se tourner vers Google pour de nombreuses requêtes – trouver un fleuriste, consulter les prévisions météo, réserver un vol, etc. – même si Google est moins riche en actualités.
Par conséquent, contrairement à ce que les médias aiment affirmer, ce ne sont pas leurs contenus qui apportent de la valeur à Google et aux autres moteurs de recherche. En revanche, il ressort clairement que le trafic sur les sites web de la presse peut dépendre pour un tiers des moteurs de recherche.