L’égalité n’est ni une guerre des sexes ni un danger, alors parlons-nous
Les dates anniversaires sont pratiques. Comme des balises dans une mer où les informations s’évaporent avant même d’être digérées, elles nous lancent: stop, retournons-nous. Depuis la dernière grève féministe du 14 juin 2024, plus d’une vingtaine de femmes ont été tuées en Suisse. Pourquoi? Parce qu’elles étaient des femmes. Un homme fièrement misogyne, reconnu responsable d’agression sexuelle et sous le coup de (très) nombreuses autres accusations, s’est réinstallé à la Maison-Blanche – et en a profité pour bannir le mot «femme» de son administration. Le monde entier est aussi entré dans la chambre de Gisèle Pelicot où, droguée par son mari, la septuagénaire française a été violée pendant des années par des dizaines d’hommes. Les discours masculinistes crachant leur haine de la moitié de la population ont aussi continué d’attirer dans leurs toiles connectées les plus jeunes adolescents, tandis qu’un pays sur quatre a vu reculer les droits des femmes sur son sol en 2024 (ONU).
Pendant ce temps-là, que faisaient les Suissesses? Elles travaillaient – pour des salaires toujours plus bas que ceux des hommes. Et travaillaient encore – à la maison, avec les enfants et sans salaire cette fois (mais avec supplément charge mentale, s’il vous plaît). En 2024, elles ont consacré 32,4 heures par semaine aux tâches domestiques et familiales, soit 10,4 de plus que les hommes (OFS). Eux, pourtant, estiment que l’égalité «est atteinte en Suisse, dans presque tous les domaines», révèle le Baromètre national de l’égalité. Ouvrant au passage un tiroir sur les garçons de la génération Z, encore plus convaincus que leurs aînés que la question est réglée.
Résister au bruit de la polarisation
Le problème avec les dates anniversaires, c’est qu’elles restent pratiques seulement si on en fait quelque chose. Trois décennies après la première grève nationale des femmes de 1991, la cloche du dialogue sonne aujourd’hui peut-être plus fort que jamais. A l’heure où certains vents récupèrent le débat sur l’égalité pour construire des murs et des paniques morales, restons concentrés sur l’objectif et parlons-nous. Entre femmes, hommes, et minorités de genre. Entre générations et entre adversaires politiques aussi. Avant que des drames ne nous laissent plus l’occasion de le faire. Informons-nous (en particulier si on ne se sent pas concerné). Investissons-nous – un peu ou beaucoup, dans la rue ou au bistrot, dans nos chambres personnelles ou fédérales, mais faisons-le.
Ne laissons pas le bruit de la polarisation étouffer la perspective de lendemains qui chantent. Car l’égalité n’est ni une guerre des sexes ni un danger, elle est un projet de bonheur et de liberté pour toutes et tous. Qui refuse de devenir libre?