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« Le Covid a été un obstacle dans la course des ados »

Cinq ans après, que retenez-vous des conséquences, sur les adolescents, de l’expérience de la pandémie ?

D’abord, le sentiment d’injustice que les adolescents ont ressenti lorsqu’on les a pointés du doigt. On disait qu’avec leur côté transgressif ils allaient mettre les autres en danger, leurs grands-parents, leurs proches. Or, ils payaient eux-mêmes un grand tribut à cette pandémie ! Certes, ils étaient moins exposés aux risques sanitaires, mais ils ne pouvaient plus mener leur vie d’adolescent, ils étaient enfermés chez eux avec leurs parents… Ce n’est pas le destin d’un ado !

Une sorte de double peine ?

Oui. On a fait des adolescents des figures négatives ; dans les épidémies, on cherche des responsables… mais ça ne correspondait pas à la réalité. Et ce en sous-estimant que ce qu’ils vivaient, eux, était très dur. Et en même temps, la pulsion de vie continuait, des parents nous racontaient les stratégies charmantes de leurs ados pour retrouver leur amoureux, par exemple. Ils s’arrangeaient pour que leurs sorties coïncident ou ils laissaient des petits mots, des objets. Je disais aux parents, encouragez-les, ils en ont besoin.

À partir du deuxième confinement, les consultations aux urgences pédopsychiatriques ont augmenté. Aujourd’hui, a-t-on retrouvé un niveau pré-Covid ?

Non. Ces consultations ont augmenté à partir du deuxième confinement, on a atteint + 30 % et ce n’est pratiquement pas redescendu depuis. On est longtemps resté sur un plateau, puis ça a baissé un peu. Mais on est encore à plus de 20 % de consultations supplémentaires au niveau national. Et lorsque vous sollicitez un système déjà saturé, c’est l’enfer.

Aujourd’hui, à la Maison de Solenn, nous voyons arriver des ados qui ont des idées suicidaires sans pouvoir les hospitaliser. Le Covid a fragilisé une situation déjà difficile en pédopsychiatrie. Nous avons besoin de moyens supplémentaires, d’une meilleure reconnaissance des métiers et de former plus de médecins et d’infirmières.

Revenons au tournant 2020-2021. Quels étaient les motifs de consultation des jeunes ?

On a observé une augmentation importante des troubles du comportement alimentaire, notamment anorexiques. Les jeunes venaient aussi pour des troubles anxieux. Et certains pour des conduites suicidaires, souvent liées à des états dépressifs.

L’anorexie, pourquoi ?

Il est difficile de répondre, car rien n’est linéaire. Disons que, confinés à la maison, les adolescents n’avaient plus grand-chose pour agir sur leur propre corps, et plus généralement, maîtriser leur destin. On peut imaginer qu’il y ait eu cette volonté de retrouver une certaine maîtrise. Mais dans ce contexte de crise, cela devenait parfois une psychopathologie.

Et les troubles anxieux ?

Ces troubles-là étaient liés à la crise sanitaire elle-même – ils ont reculé ensuite. Peur de la maladie, des virus, mais aussi perte de confiance dans des adultes se montrant incapables de maîtriser le monde. Parfois, les troubles anxieux évoluaient vers des troubles dépressifs, car les jeunes ne voyaient pas la fin de cette pandémie, c’était trop long pour eux. Trois ans, dans la vie d’un ado, c’est énorme.

Vous évoquiez aussi une recrudescence des conduites suicidaires.

Oui. Ça commençait souvent par les rythmes chamboulés des confinements : des ados qui n’arrivaient pas à se coucher et qui passaient une partie de la nuit sur les réseaux sociaux. Qui somnolaient la journée, mangeaient n’importe quoi, n’avaient plus envie de rien… L’étape suivante, c’étaient des idées suicidaires qui s’activent, une perte de sens et d’élan vital totale.

Cinq ans après, le phénomène est-il toujours saillant ?

Oui. Comme si une certaine représentation du monde, très incertain, peu sécurisant et peu désirable s’était fixée à ce moment-là. Or, pour qu’un adolescent fasse tranquillement son passage vers l’âge adulte, il faut un cadre, quelque chose qui tienne.

Diriez-vous qu’ils sont une « génération Covid », abîmée par ce vécu ?

Il faut faire très attention avec le terme « génération Covid ». Car c’est déterministe et réducteur, comme si leur destin était écrit. C’est faux. Et je ne dirai pas « abîmée » non plus, car cela induirait que quelque chose est définitivement cassé. Je me souviens, lors des 20 ans de la Maison de Solenn, les jeunes avaient écrit des chansons dont l’une s’appelait Les Ados abîmés. Les autres se sont insurgés ! Ils préféraient le terme « touchés », reconnaissant qu’avec le Covid il s’était passé quelque chose, mais qu’ils n’étaient pas marqués au fer rouge. Le Covid a été un obstacle dans leur course.

Surtout pour les plus précaires, non ?

J’ai une consultation en Seine-Saint-Denis, où certains ados vivent dans des promiscuités folles. Tout était compliqué pour eux, car ils n’avaient pas d’espace à eux, même pour une consultation à distance… Tout le monde entendait, du coup, on faisait des consultations familiales ! Je me souviens d’une jeune Tamoule, qui nous appelait de sa salle de bains…

Quels conseils donneriez-vous aux parents et aux grands-parents ?

Aux parents, je dirais de veiller à ne pas alourdir les jeunes avec leurs propres représentations négatives du monde… Celles-ci ont tendance à écarter ce qui va bien et omettent que les jeunes ont des compétences et trouvent toujours le moyen de rendre le monde meilleur. Bref, ce côté, « tout est dur, ça va être difficile »… ça alourdit leur tâche ! D’autant qu’ils sont plus dépendants de notre regard qu’ils en ont l’air. Quant aux grands-parents, ce sont de très bons médiateurs. Avec eux, les ados peuvent aborder des questions sérieuses qu’il ne faut pas éluder, Dieu, la politique, la mort, etc.

(1) Maison de Solenn-Maison des adolescents de l’hôpital Cochin à Paris, mda.aphp.fr

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