La ville, un écosystème façonné par la liberté

Dans un article publié dans le Journal des Libertés, numéro 27, hiver 2024, Sanford Ikeda, professeur émérite du Purchase College et pilier du séminaire d’économie autrichienne de la New York University, souligne que la ville ne se résume pas à un simple ensemble de bâtiments et d’infrastructures. Elle est avant tout une organisation complexe née d’un ordre spontané, résultant de l’interaction libre entre individus aux intérêts variés. Contrairement à une structure imposée de manière centralisée, la ville se développe de façon organique, portée par les besoins et les décisions des habitants, commerçants, artisans et autres acteurs économiques.
L’article explore les compromis entre deux formes de complexité : la complexité conçue (planifiée par des individus ou groupes) et la complexité spontanée (qui naît des interactions libres et imprévues entre de multiples acteurs). Selon Ikeda, plus une ville limite la complexité conçue à grande échelle, plus elle est spontanée, flexible et innovante, capable de s’adapter aux changements inattendus. C’est cette spontanéité qui fait d’une ville un « ordre spontané » authentique, et ce qu’il nomme une « ville vivante », où la complexité planifiée complète sans étouffer la complexité spontanée.
L’auteur illustre le concept d’”ordre spontané” par l’exemple du jeu d’échecs, où, malgré des règles fixes, les parties individuelles restent imprévisibles et uniques, façonnées par l’interaction autonome des joueurs sans direction centralisée. De même, les marchés libres sont des ordres spontanés complexes, qui émergent et se régulent par la coopération et la concurrence entre des milliers d’acteurs possédant des connaissances locales et tacites. Ces marchés s’auto-entretiendraient et se renouvellent continuellement sans intervention extérieure constante, favorisant l’innovation et la création de richesse.
Les villes « vivantes » fonctionnent essentiellement comme des marchés, notamment dans leurs dimensions foncières et du travail, et elles sont des foyers d’innovation grâce à leur capacité à attirer une diversité de talents et de compétences. Le commerce joue un rôle clé pour rassembler des étrangers et favoriser une coopération pacifique. Ainsi, une ville où s’épanouissent commerce, diversité et concurrence concurrentielle est un terreau propice à la créativité, à la science, à la culture, et même à la gouvernance.
La notion de complexité est cruciale dans cet argument. Ikeda distingue la complexité conçue, résultant d’un plan conscient (comme un essai ou une rue planifiée), de la complexité spontanée, qui apparaît au-delà de cette conception initiale, à travers les interactions nombreuses et imprévisibles des individus au sein de cet espace. Par exemple, bien qu’une intersection soit planifiée, le flux de piétons qui s’y déplace est spontanément complexe et jamais identique d’un moment à l’autre. Plus une structure sociale est dirigée consciemment, plus la spontanéité diminue, laissant moins de place à l’innovation et à l’adaptation. Il compare cela à la musique : une fanfare suit strictement un chef, tandis qu’un groupe de jazz favorise l’expression individuelle dans un cadre souple, illustrant différents degrés de spontanéité.
Un équilibre est nécessaire : une ville ne peut pas être entièrement spontanée sans règles ni planification. Une certaine complexité planifiée est indispensable pour assurer la sécurité, l’ordre et la fonctionnalité (par exemple la gestion de la circulation). Mais au-delà d’un certain seuil, trop de planification rigide tue la spontanéité, ce qui affaiblit l’adaptabilité et l’innovation. Ikeda oppose ainsi la ville évolutive de New York, fruit d’une longue évolution non planifiée, à la « ville radieuse » de Le Corbusier, œuvre très conçue mais peu adaptable, souvent perçue comme froide et peu vivante.
L’article insiste sur la nécessité d’un compromis entre planification et spontanéité pour qu’une ville reste dynamique et vivante. Une complexité conçue qui complète la complexité spontanée sans la remplacer est la clé pour un ordre social urbain efficace, innovant et capable de s’adapter aux imprévus. C’est dans ce subtil équilibre que réside le potentiel d’une ville véritablement libre et prospère.
Lire l’article en entier
L’article La ville, un écosystème façonné par la liberté est apparu en premier sur Contrepoints.