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« La victoire de l’extrême droite en Pologne va délégitimer son statut en Europe »

Pendant ces élections présidentielles de 18 mai et du 1er juin la démocratie polonaise a montré sa robustesse malgré une tension extrême. Entre les formations nationalistes, eurosceptiques, conservatrices, repliées sur le « quant à soi », et les formations progressistes, pro-européennes, ouvertes aux évolutions des mœurs, une forte charge émotionnelle menaçait à tout moment de faire rompre les règles démocratiques.

Finalement rien de tel n’a eu lieu. Et pourtant la victoire du candidat de la droite conservatrice Karol Nawrocki fera tanguer les politiques interne et externe de la Pologne. Toutes les forces politiques travailleront avec pour unique horizon les élections législatives de 2027. Le nouveau président aura pour objectif principal de geler un maximum de décisions de l’actuelle majorité législative du premier ministre Donald Tusk, de manière à ramener au pouvoir dans deux ans sa formation politique le parti Droit et Justice (PiS).

Le gouvernement de la coalition de Tusk, au centre droit libéral, aura une marge de manœuvre très limitée. Ses alliés surtout à gauche, ne pourront qu’être insatisfaits de cet immobilisme, imposé par les vétos présidentiels. La plupart de projets progressistes comme la décriminalisation du droit à l’avortement, la légalisation d’une sorte de pacte civil de solidarité (pacs), les mesures de politiques écologiques, la contribution de la Pologne au renforcement de l’autonomie stratégique européenne, seront mis en sourdine.

Cohabitation querelleuse

Une cohabitation querelleuse devrait freiner aussi le dynamisme de la Pologne sur l’arène internationale, notamment européenne et, par voie de conséquence, détériorer son image de partenaire fort de la France, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne. En Europe centrale, parmi les pays qui ont rejoint la communauté européenne en 2004, la Pologne représentait depuis deux ans la résistance à la vague des populismes souverainistes.

Par ses succès économiques la Pologne rassurait l’Ouest. Sa capacité de mobiliser entre 4 % et 5 % de son PIB pour l’armement et sa sécurité, tout en étant un hub pour le transfert des soutiens militaires et paramilitaires des pays solidaires avec l’Ukraine agressée, sans oublier l’accueil de plus d’un million de réfugiés, femmes et enfants ukrainiens, rehaussait le prestige international de la Pologne à la hauteur des puissances européennes.

Avec l’arrivée au pouvoir de Karol Nawrocki, opposé à toute perspective d’adhésion future de l’Ukraine à l’Otan, admirateur proclamé de Donald Trump, très réticent à la création des capacités militaires intégrées de l’UE, on assistera probablement à la délégitimation du statut d’acteur décisif de la Pologne en Europe. Dans ce contexte, seuls à se réjouir sont les leaders souverainistes de ce qui reste de l’ancien regroupement de Visegrad, et notamment le Hongrois Victor Orban.

Tendance illibérale

Victor Orban dispose au sein de l’UE de soutiens de certains pays membres, comme en Slovaquie le premier ministre Robert Fico (accédant pour la quatrième fois au pouvoir, le 25 octobre 2024), ou de personnalités comme le Croate Zoran Milanovic, très confortablement réélu comme président le 12 janvier 2025, en attendant peut-être Andrej Babis, dont le parti ANO se place en tête dans les sondages d’opinion en République tchèque, et pourrait gagner les élections d’octobre 2025.

Il est à parier que Karol Nawrocki, dans les limites de ses prérogatives, rejoindra le groupe des pays à tendance illibérale, eurosceptiques. Mais pourra-t-il aussi s’identifier à la tendance prorusse de cette nouvelle donne de Visegrad ? Il est étrange que des populations comme les Hongrois, les Tchèques, les Roumains et les Slovaques, qui ont beaucoup souffert de l’impérialisme soviéto-russe au cours d’une histoire pas si lointaine, adoptent une orientation prorusse.

Rappelons que l’Armée rouge et ses alliés du pacte de Varsovie ont réprimé dans le sang les soulèvements populaires en Hongrie en 1956 et le printemps de Prague en 1968. Les troupes soviétiques étaient également stationnées à Vienne et dans une grande partie de l’Autriche jusqu’à ce que le pays déclare sa neutralité en 1955. Or, l’Autriche a rejoint au sein de l’UE le groupe de pays réfractaires au soutien à l’Ukraine.

Consensuellement antirusse

Herbert Kickl, chef du parti d’extrême droite autrichien FPÖ, pèse sur la politique de son pays en réclamant de s’abstenir du soutien militaire à l’Ukraine. Son parti a une longue tradition de relations ambiguës avec la Russie. Il a fondé au Parlement européen un groupe dénommé « Patriotes pour l’Europe » avec les premiers ministres de la Hongrie et de la Slovaquie voisines, en juin 2024. L’indulgence à l’égard de la Russie est l’une de ses caractéristiques. Que signifie pour le fonctionnement de l’UE et pour la Pologne pourtant consensuellement antirusse, la perspective que pas moins de quatre chefs de gouvernement ou d’État soient ostensiblement pro-Poutine et excessivement réticents à soutenir l’Ukraine ?

Robert Fico a fait écho à Victor Orban lorsqu’ils ont tous deux condamné la prétendue « politique pro-guerre » de l’UE, déclarant que Bratislava et Budapest « ne danseront pas sur la musique de Kiev ». Les deux dirigeants rencontrent régulièrement Poutine. Robert Fico a décidé d’assister aux célébrations du 80e anniversaire du jour de la Victoire à Moscou. Ce faisant, il a rejeté l’appel de Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie de l’UE, qui avait demandé aux dirigeants européens de boycotter le défilé du Kremlin.

Avec l’élection du nouveau président de la Pologne, la fraction des pays opposés à tout transfert de compétences à l’Union européenne disposera d’une force de frappe dangereuse pour la construction européenne. À moins que l’expérience politique et l’habileté du premier ministre polonais Donald Tusk ne lui permette de gagner la cohabitation à son avantage.

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