« La fusion de l’audiovisuel public ne doit pas faire émerger une BBC à la française »

En 2008, le slogan « BBC à la française » a été lancé pour justifier la suppression de la publicité sur France Télévisions. Il sert aujourd’hui à adouber la fusion de l’INA, de France Télévisions et de Radio France, cette fois-ci pour résister à la concurrence des « plateformes ». Cet enjeu stratégique et économique mérite d’être questionné. Sans être réunies dans une même holding, Radio France et France Télévisions sont parvenues, avec France Info, à proposer depuis 2016 une offre unique d’information en ligne qui a rencontré les faveurs des internautes. Le constat est identique sur le marché des droits : France Télévisions et Radio France comptent déjà parmi les premiers financeurs de contenus audiovisuels nationaux et Netflix ou Disney+ n’envisagent pas de les remplacer. Autant dire que l’enjeu économique d’un audiovisuel public fusionné n’est pas évident, quand l’enjeu politique semble à l’inverse bien plus important. Il concerne l’information.
Il y a dix ans, la désinformation était un phénomène émergent ; elle fait aujourd’hui partie du « paysage » sur internet. Les médias d’information, eux, sont de plus en plus à la peine. La presse locale n’est pas encore parvenue à gérer sa bascule numérique, la radio perd des auditeurs, l’audience des JT et des chaînes d’information en continu, importante, est de plus en plus vieillissante. La presse quotidienne s’en sort mieux. Les « plateformes » raflent la mise de l’attention. Or, sur ces dernières, les journalistes n’ont plus le monopole de l’information parce que leur autorité est remise en question. Autant dire que la préservation d’une offre d’information de qualité, sur les médias publics comme sur les médias privés, semble tout à fait prioritaire dans un contexte où la désinformation et la mal-information se banalisent.
Le coût de l’information
Mais l’information a un coût que le marché ne parvient plus toujours à supporter. Avec 3 500 journalistes, des rédactions locales partout en métropole et dans les outremers, avec de grandes rédactions nationales, l’audiovisuel public offre une garantie essentielle : produire et diffuser sur tout le territoire une information financée et indépendante, y compris dans les territoires où les contraintes économiques semblent trop fortes pour pérenniser des médias privés (pensons aux difficultés immenses auxquelles est confrontée la presse dans les outremers, quand elle résiste encore).
Dans le domaine de l’information, la fusion peut avoir des avantages. Malgré l’offre unique en ligne, il y a encore des doublons entre radio et télévision publiques sur la couverture de certains sujets. Une meilleure allocation des moyens, grâce à une meilleure coordination entre rédactions, ou à leur intégration, permettrait de traiter plus de sujets ou de mieux les approfondir. Rien ne sert d’envoyer quatre journalistes couvrir la même conférence de presse si un journaliste assez polyvalent est disponible pour revenir avec du son, des images et un texte d’accompagnement. Mais il faut pour cela des journalistes formés qui ont les moyens de travailler. Et il faut surtout un projet éditorial cohérent qui permette de savoir à quel public le journaliste s’adresse, sur quel support de diffusion, avec quel objectif, ce qu’un projet de loi ne peut évidemment pas anticiper.
Les risques d’une fusion
La fusion comporte aussi des risques. Plutôt que de traiter plus de sujets et mieux avec des rédactions aux effectifs préservés, la tentation sera grande de faire comme avant mais avec moins de journalistes, car l’audiovisuel public est sommé de contenir ses dépenses depuis longtemps déjà. La contrainte économique n’est pas le propre des médias privés. D’ailleurs, la référence récurrente à une « BBC à la française » ne doit pas faire oublier que la BBC est soumise depuis deux décennies à des cures d’austérité à répétition. Et que l’économie sert, outre-Manche, de moyen de pression politique sur « Auntie ».
Enfin, le sujet a été peu débattu dans les médias, parmi les politiques, comme s’il allait de soi que la démocratie française est un roc inébranlable, comme s’il allait de soi que l’indépendance de l’audiovisuel public, et donc de l’information qu’il produit, sera toujours garantie. Ailleurs en Europe, en Hongrie, en Pologne, plus récemment en Italie, la pression sur les dirigeants des médias audiovisuels publics a été immense. Et les digues, souvent, ont cédé. La France n’a pas la garantie de pouvoir échapper toujours à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement trop peu libéral. Or il est plus simple d’instrumentaliser un audiovisuel public unique qu’une diversité de médias publics, chacun géré séparément. Dans un autre registre, aux Etats-Unis, rappelons-nous que Columbia a cédé aux pressions de Donald Trump, pas Harvard. S’il n’y avait eu que Columbia…