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« En Ukraine comme à Gaza, les séquelles post-traumatiques des civils sont une bombe à retardement »

Un conflit de haute intensité est intervenu en Europe avec l’invasion russe en Ukraine. Selon le Wall Street Journal, sur les 950 000 victimes russes estimées fin 2024, pas moins de 250 000 sont mortes et, selon la même source, l’Ukraine a près de 400 000 pertes, dont 80 000 morts. Encore ces estimations sont-elles considérées comme très basses, ainsi il pourrait y avoir de l’ordre de mille morts par jour du côté russe, ce qui fait environ un million de morts.

Parallèlement aux guerres interétatiques, les violences organisées contre les populations civiles se sont élevées considérablement dans le monde durant le demi-siècle écoulé. Le centre spécialisé de l’université d’Uppsala a enregistré cinq fois plus de décès dus à la violence organisée en 2024 qu’en 2010. La violence asymétrique contre les populations civiles est parfois le fait de groupes organisés non étatiques, parfois des États. Le massacre perpétré en 1994 au Rwanda contre les Tutsis par le pouvoir hutu, soutenu par la France fut d’une ampleur sans égale. Si l’on excepte ce génocide, il reste que l’augmentation des violences perpétrées contre les populations civiles par un acteur étatique ou des groupes organisés est constante.

C’est cette violence asymétrique qui se manifeste à Gaza. Plus de la moitié des 55 000 personnes tuées sont des femmes d’âge mûr, des enfants et des personnes âgées. Aux traumas directs dus aux bombardements s’ajoutent pour la plupart des quelque deux millions de Gazaouis les déplacements forcés, l’inaccessibilité à la nourriture, à l’eau et aux soins. La population enfermée dans un espace si étroit n’a pas d’échappatoire. Ses blessures ne sont pas seulement symboliques et l’on conçoit qu’elles aient de fortes répercussions psychiatriques, notamment une poussée du stress post-traumatique.

Des réfugiés aussi traumatisés que les combattants

Les guerres menées par les pays occidentaux sur des théâtres lointains dans le contexte de la guerre froide – notamment par les troupes américaines en Corée dans les années 1950 et au Vietnam dans les années 1970 – qui ont laissé des séquelles post-traumatiques parmi les vétérans n’ont pas affecté la santé mentale de la population civile des métropoles. En Ukraine, où la vie de la population n’est pas aussi profondément bouleversée par la guerre qu’à Gaza, les études épidémiologiques indiquent une forte poussée à la fois des pathologies anxiodépressives et du stress post-traumatique.

Le trouble est aussi élevé parmi les Ukrainiens déplacés à l’intérieur du pays et parmi les réfugiés à l’étranger – 7 millions d’Ukrainiens ont quitté le pays – que parmi les combattants eux-mêmes. La seconde invasion russe en février 2022 a amplifié les appréhensions qui s’étaient manifestées avec l’annexion de la Crimée : après qu’ont été connus les massacres à Marioupol, Irpin et Boutcha, le seuil diagnostique du stress post-traumatique est atteint ou dépassé par plus de la moitié des répondants, puis diminue un peu. Bien que la majorité des Ukrainiens, à la différence des habitants de Gaza, ne souffrent pas massivement de la faim, de l’absence de soins, un faisceau concordant d’études montre que le stress post-traumatique est élevé parmi ceux dont des connaissances ont été tuées ou blessées, qui ont vu la maison d’un voisin détruite ou ont dû se déplacer. Le fait d’entendre les sirènes et de courir aux abris suscite l’apparition des symptômes qui pourraient déboucher sur un stress post-traumatique caractérisé.

L’exemple kurde

Comme la violence asymétrique exercée contre l’enclave palestinienne, la guerre en Ukraine fabrique une bombe à retardement, car le risque de pathologie psychique n’est pas directement lié à la gravité des atteintes subies. Une étude remarquée montre que chez des militants kurdes torturés, les sévices ont laissé moins de traces psychiques que dans la population kurde physiquement indemne. Les survivants à la torture présentent certes plutôt plus de symptômes que les personnes non torturées, mais leurs symptômes sont modérés écrivent en substance les auteurs. La conscience des risques, l’engagement pour une cause, immunisent partiellement les militants malgré des épreuves terribles.

En Ukraine, la diffusion du stress post-traumatique s’opère parmi les civils qui vivent à l’arrière, qui n’ont pas été touchés dans leur chair mais sont exposés à des menaces récurrentes. Dans les grandes villes et à Kiev même, la ville la mieux protégée où je me suis rendu à l’automne dernier, plus d’un tiers des habitants ressent tous les symptômes du stress traumatique. Il y a un épuisement nerveux au terme de trois ans et demi de guerre, et l’intensification récente des bombardements va amplifier ces traumatismes. Il ne s’agit donc pas de faire des échelles de Richter du trauma, mais de mesurer l’ampleur des prises en charge nécessaires en termes de santé psychique en raison de la durée des bombardements en Ukraine comme à Gaza.

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