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Broyée par la clinique Corela, une patiente se bat pour qu’ait enfin lieu un procès

La clinique Corela à Genève a été active entre 2003 et 2018, avant que l’attention des autorités cantonales et des articles de presse (notamment de la Tribune de Genève et de la RTS) ne la conduisent à fermer ses portes. L’établissement, fondé et dirigé par un psychiatre, le Dr Moyssonier (nom modifié), s’était spécialisée dans les expertises médicales impitoyables — voire frauduleuses — pour le compte d’assurances privées et de l’AI. Aucun procès n’a eu lieu à ce jour.

Pour Anne (prénom modifié), le calvaire dure depuis 2012. Aujourd’hui, 13 ans plus tard, elle ne sait toujours pas si elle obtiendra gain de cause. La faute à une assurance mercantile, à de sérieuses lacunes du côté du législateur et à l’origine, bien sûr, aux pratiques inouïes de la clinique Corela. Son dernier espoir: une ultime audition qui aura lieu ces prochains jours. Si la procureure Nathalie Siegrist décide de renvoyer l’affaire en jugement, une décision attendue dans les jours qui viennent, elle donnera lieu au tout premier procès dans cette incroyable affaire.

Retour en arrière. Chez elle à Genève en train de faire le ménage un après-midi d’août 2012, Anne tombe d’un escabeau et se cogne violemment à une table. Elle perd connaissance. A son réveil, elle se découvre ensanglantée et compose le numéro d’urgence. SOS Médecins diagnostique un trouble crânio-cérébral. Elle passe la nuit aux urgences des HUG après avoir perdu connaissance une fois encore à l’hôpital.

Impossible reprise professionnelle

Après quelques jours, les premiers symptômes apparaissent: nausées, troubles de la vision, pertes d’équilibre, trous de mémoire, tremblements, confusion. Employée dans l’entreprise de ses frères, Anne est prise en charge par son assurance accident, la Zurich. Il lui faut réapprendre à parler, à compter et même à écrire. Débute alors un long parcours de réhabilitation avec une logopédiste, une neuropsychologue, un neurologue, un physiothérapeute. Un an plus tard, ses médecins constatent des ‭«‭améliorations dans plusieurs domaines» tout en notant ‭«‭des difficultés importantes, rendant bien sûr impossible toute reprise d’une activité professionnelle».

Cette série est illustrée par les images de call centers désaffectés qui ne sont pas liés à la clinique Corela. Il s’agit du travail de Régis Golay, qui explore les vestiges d’un monde de bureaux désertés, figés dans un état d’abandon brutal. Entre mobilier renversé, écrans noirs et papiers éparpillés, le déclin des cols blancs prend une allure presque apocalyptique. Photographe et fondateur de Fédéral Studio, Régis Golay travaille entre Genève et Zurich, mêlant approche documentaire et esthétique.

Mais l’assurance accident peut en tout temps exiger du patient qu’il consulte un «expert» pour avoir un second avis. La Zurich demande alors en septembre 2014 à Anne de se rendre dans une clinique pour effectuer une expertise pluridisciplinaire. Deux rendez-vous sont fixés, en novembre de cette année-là.

Panique durant le test

Une décennie est passée, mais Anne, désormais âgée d’une cinquantaine d’années, se souvient parfaitement de son arrivée dans les locaux froids et ternes de la clinique Corela. Malgré la dizaine de noms sur la porte, ces bureaux situés au deuxième étage du 54 chemin de Normandie, sur les hauteurs du quartier chic de Champel, à Genève, n’abritent que le cabinet du Dr Moyssonier, psychiatre et directeur médical, flanqué de deux psychologues et deux assistantes, selon des documents qu’a pu consulter Heidi.news. La salle d’attente est meublée de chaises blanches, la moquette est grise. Seule une plante verte égaie l’endroit.

Le test commence. Mais au milieu, Anne fait une crise de panique: ‭«l’assistante m’a dit que j’avais interdiction de sortir tant que ce n’était pas fini, alors j’ai mis des croix n’importe comment», nous a-t-elle raconté. Proche des larmes, Anne est au ‭«bout du rouleau». Mais ce n’est pas fini. Après le test, elle doit en effectuer un autre, informatique cette fois. ‭«J’étais tellement épuisée que j’ai fait un malaise. Je souffrais encore de dysphasie à l’époque (difficulté à s’exprimer du fait d’une atteinte cérébrale, ndlr.)».

Parler à un robot

Après ces tests, Anne doit procéder dans un laboratoire externe à une prise de sang, une spécialité du Dr Moyssonier qui y recourt de façon systématique pour détecter une éventuelle prise d’alcool ou de cannabis, ou encore montrer que la patiente ne suit pas ses traitements, afin d’offrir la possibilité à l’assurance de ne pas assumer ses responsabilités. Contrairement à ce que prétend alors la clinique, ces examens, qui sont par ailleurs facturés aux patients, n’ont rien d’obligatoire.

Durant les échanges avec l’un des experts mandatés par Corela, Anne est chahutée. ‭«C’était comme si vous parliez à un robot. Ca donnait l’impression qu’il y avait un protocole préétabli et que tout était convenu d’avance». Sans le savoir, elle avait raison. L’enquête judiciaire montrera que les rapports étaient prémâchés pour les experts, avec un ‭«template» comprenant toutes sortes de ‭«red flags» qui permettaient de prendre en faute le patient.

Un premier rapport

Le 26 janvier 2015, la clinique Corela rend un premier rapport, facturé 15’480 francs à la Zurich Assurance. Il est contresigné par quatre «experts», rémunérés 800 francs chacun. Abordant tour à tour les aspects psychologiques, neurologiques et psychiatriques, il fait 120 pages, presque le double d’un rapport usuel, le but étant, selon une ancienne experte de la clinique, de ‭«noyer le poisson». Un poisson qui sera, pour Anne, un poison: malgré la persistance de ses problèmes de santé, les médecins préconisent un retour au travail à 100% rétroactivement à partir d’octobre 2013, date d’une IRM effectuée un an après l’accident.

Leur raisonnement est insidieux: l’IRM ne montrant aucune séquelle au cerveau, les troubles d’Anne, bien que réels et attestés, se seraient développés après coup et ne seraient donc pas attribuables à sa chute.

Ce faisant, les experts mandatés par Corela mettent en œuvre l’une des grandes spécialités de la clinique: aller à l’encontre de l’avis des médecins traitants. En l’occurrence, même celui du médecin conseil de l’assureur, le Dr Philippe Hungerbühler, généraliste à Yverdon. Ce dernier expliquait qu’il ‭«était probable que, lors de la chute et du choc contre la table, il y avait eu un déplacement du cerveau qui avait causé des lésions. Toutes les lésions n’étaient pas forcément visibles, même à l’IRM».

En clair: «elle simule»

En parallèle, les petites mains de Corela passent au peigne fin le passé d’Anne. Pendant deux ans, ils font des recherches auprès de toutes les assurances de Suisse. Et ressortent, pour expliquer une partie de ses douleurs, un accident vieux de vingt ans: une voiture l’avait heurtée à l’arrêt à une station de péage sur l’autoroute.

Dans leurs rapports, les experts de Corela ne reculent devant rien: les symptômes d’Anne comportent, de façon «consciente ou inconsciente (…) des éléments d’exagération, d’amplification, de contradictions», écrivent-ils. En clair, elle simule.

Le parti pris est habituel chez le Dr Moyssonier qui, avant que l’affaire Corela ne sorte dans la presse et qu’il déploie beaucoup d’efforts pour menacer tout journaliste voulant révéler son nom, évoquait fièrement ses méthodes: «Je recherche systématiquement la simulation, les mensonges, les exagérations et les pseudo-vérités», avait-il ainsi déclaré à un quotidien romand. Il avait pour cela mis au point un questionnaire très dense, censé fonctionner comme détecteur de mensonge.

Adoration des assurances

«Avec ses tests, Corela avait renversé le fardeau de la preuve. Les patients devaient prouver qu’ils n’étaient pas des simulateurs», estime un psychiatre genevois ayant eu l’occasion de voir ses collègues à l’œuvre à de nombreuses reprises. Avant d’ajouter que la clinique était ‭«anti-patients, c’est pour ça que les assurances l’adoraient».

Durant les entretiens, les experts de Corela ont posé à Anne toutes sortes de questions sur sa vie privée. Des informations qui seront ensuite utilisées contre elle. ‭«Je leur avais dit que je me réjouissais d’être grand-mère», raconte-t-elle.

Traduisez cette déclaration en langage Corela, et cela donne: «[Anne] n’a manifesté aucune anxiété ou inquiétude relative à la possibilité de s’occuper de ses petits-enfants, et ce malgré les plaintes alléguées du point de vue des troubles attentionnels ou de difficultés amnésiques. Dès lors, la perspective pour l’intéressée de s’investir dans son nouveau rôle de grand-mère à venir est également susceptible d’inférer avec les délais médicaux de reprise de travail.»

Incapacité: 0%

L’analyse neuropsychologique atteste de troubles, mais s’en ‭«remet à la discussion entre experts». Suivent quelques paragraphes en jargon médical, qui permettent de conclure qu’il ‭«n’y a aucune atteinte à l’intégrité», aucune ‭«limitation, le tableau neuropsychologique n’étant pas interprétable». En conséquence, ‭«l’incapacité de travail est de 0% horaire sans baisse de rendement depuis le 8 octobre 2013 au plus tard, date à laquelle il est noté une IRM cérébrale normale».

Or, comme l’a découvert Heidi.news, la discussion qui a permis aux médecins de décider qu’Anne était apte à revenir au travail n’a jamais eu lieu. Pire, ces conclusions sur sept pages ont été écrites par la direction de Corela, au nom des médecins.

C’est là l’astuce ingénieuse du système Moyssonier: les expertises des médecins étaient maintenues dans une version proche de celles de leur auteur, mais la discussion ou concilium, pourtant dûment facturé aux assurances, permettait à la clinique d’aller dans le sens des assurances et était rédigée par le personnel de la clinique sans l’aval des médecins.

Le silence de l’assurance

La Zurich Assurance ne se le fait pas dire deux fois: s’appuyant sur le rapport, elle interrompt les paiements au 31 mars 2015. Et cela, bien qu’elle ait reçu une lettre du médecin traitant d’Anne, le Dr Roth, qui affirmait: ‭«en aucun cas partager les conclusions [de la clinique]. (…) [Anne] reste actuellement totalement incapable d’exercer une activité professionnelle». Avant d’ajouter: ‭«Je me permets enfin de vous suggérer de considérer avec prudence les conclusions de la clinique Corela».

Mais rien n’y fait, la Zurich Assurance se débarrasse de la patate chaude. Le lendemain, elle écrit: ‭«Les experts se sont par ailleurs retrouvés confrontés à des éléments de discordance, d’exagération et à des contradictions. Un état antérieur, notamment sous la forme de nombreux antécédents traumatiques et de trouble dégénératif cervical opéré C6-C7 (le fameux accident mineur au péage, ndlr.) est également mentionné.

Avant d’ajouter: ‭«Les tribunaux ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur la qualité des rapports d’expertises de la clinique Corela et ont reconnu à plusieurs reprises la valeur probante de leurs rapports.» Omettant au passage de dire que sur les 155 expertises de Corela contestées devant les tribunaux entre 2007 et 2016, près de deux tiers des recours invalidant ces expertises avaient abouti.

Les surprises des avocats

Sans indemnité de son assurance perte de gain, qui est un contrat privé, Anne est donc déférée à l’aide sociale, c’est-à-dire la solidarité issue de l’argent public. Le 7 mai 2015, à peine son dossier consulté, l’Assurance invalidité (AI) décide de lui octroyer une rente à 100% sur analyse du dossier par une médecin des HUG. Mais la rente maximale reste très faible en comparaison de ce que versait l’assurance.

Pour Anne, c’est l’abattement. Avant d’ajouter que cette expertise a été un ‭«nouveau traumatisme». Elle ajoute: ‭«Ce tissu de mensonges, cette malhonnêteté… ça m’a broyée». Deux semaines plus tard, elle fait opposition auprès de l’assureur. Mais la Zurich tient bon et demande à Corela de prendre à nouveau position, en décembre 2015.

Bien plus tard, suite à une requête du Ministère public de décembre 2021, les avocats d’Anne auront la surprise de découvrir une série d’échanges entre la clinique et la Zurich. Comme ce compte-rendu d’une conversation du 26 février 2015 entre la «medical manager adjointe» de Corela et une des courtières de la Zurich.

Une assurée manipulatrice?

Cette dernière résume ainsi leur conversation: «Cette expertise a été très compliquée et leur a [à Corela] posé beaucoup de problèmes en raison de l’attitude de l’assurée, qui a menacé les experts pendant tout le déroulement de l’expertise». Avant d’ajouter: «De manière purement subjective, les experts ont eu l’impression que notre assurée était très manipulatrice. Ils ne nient pas qu’il y a eu un événement accidentel mais ils ont l’impression que l’assurée tire beaucoup d’avantages de son arrêt de travail prolongé, avec notamment la prochaine naissance de ses petits-enfants, et qu’il y a une forte exagération de sa part, consciente ou inconsciente.»

Dix ans après ces échanges sur son compte, Anne n’en revient toujours pas. ‭«Ca m’a fait mal d’arrêter de travailler! J’avais un plaisir fou à y aller, c’était ma boîte avec mes deux frères, une société familiale!» s’exclame-t-elle.

Le rôle de Madagascar

Mais ses avocats ne sont pas au bout de leurs surprises: dans des documents récemment obtenus par le ministère public, et notamment la liste des tâches consignées par la plateforme informatique de la clinique, ils découvrent qu’à peine cinq jours après la demande de l’assurance, le 14 décembre 2015, le projet de prise de position a été créé par un auditeur basé à Madagascar. Plusieurs employés de Corela, à Genève et Madagascar, travaillent dessus dans les jours qui suivent. Le 16 janvier 2016, l’une d’entre elles, numéro 2 dans l’organigramme, passe plusieurs heures au téléphone avec l’assurance afin de recevoir des pièces complémentaires. Puis, le 15 mars 2016, c’est le directeur Moyssonier lui-même qui reprend le texte et y consacre une heure et demi.

Sauf que cette lettre est signée par l’un des experts mandatés, le Dr Bellecombe (nom modifié), neurologue en France voisine. Sa signature électronique semble avoir été apposée, le 22 mars à 9h17, sans son consentement. Interrogé en août 2024 par la procureure menant l’instruction, il a déclaré qu’il ‭«ne [s’agissait] pas de sa signature» et qu’il ‭«ignorait si quelqu’un avait signé à sa place». De fait, sur la longue liste des personnes ayant travaillé sur ce courrier, le Dr Bellecombe n’apparaît nulle part.

Conseil de prudence

Le 22 mars 2016 à 10h16, le Dr Moyssonier envoie une première version du rapport, lequel contient ce passage:

‭«Nous notons que l’avocat [d’Anne] a consulté, pour avancer ses arguments, le Service de radiologie des HUG et préconise une expertise dans cet hôpital. A ce sujet, nous tenons à vous informer que l’assurée a menacé les experts durant l’ensemble de l’expertise de faire fermer la clinique s’ils n’écrivaient pas ce qu’elle voulait (…). Outre le fait que le professionnalisme des intervenants des HUG n’est pas le débat, (…) ces menaces ont été entendues, mais n’ont pas modifié notre position médicale, laquelle se doit d’être rigoureuse.»

La responsable juridique de l’assurance lui répond par mail à 14h32 qu’elle souhaite rendre le docteur Moyssonier attentif: ‭«nous avons l’intention de soumettre ce complément à l’avocat de notre assurée pour prise de position. Or, comme vous faites une remarque sur l’attitude menaçante de [Anne] à la page 3, nous nous permettons de vous demander si vous êtes conscient du fait que celle-ci sera portée à la connaissance de l’assurée et de son avocat et pourrait éventuellement provoquer des remarques de sa part.»

Ni une ni deux, le docteur Moyssonier répond le lendemain à 06h49: «Réflexion faite et en vous remerciant pour votre conseil de prudence, nous allons enlever ces phrases s’écartant du champ médical. Vous êtes au moins informée. Une nouvelle version partira ce jour à votre intention.»

Encore des menaces?

Une accusation de violence qui a scandalisé Anne: ‭«C’est un tissu de mensonges! Je n’ai jamais menacé personne, j’arrivais à peine à parler à cette époque», s’exclame-t-elle. Pourtant, dans son audition devant le Ministère public, le professeur Merceynier en rajoutera une couche, indiquant que le Dr Bellecombe: «(…) est venu me voir pour me faire part de menaces très sérieuses et impressionnantes. Elle leur avait dit qu’elle voulait faire fermer la clinique, qu’elle irait jusqu’au bout, qu’elle ne lâcherait pas et qu’elle avait le bras long, avec des gens très bien placés aux HUG et dans d’autres institutions». Avant d’ajouter que «Le Dr Bellecombe a démissionné par la suite en lien avec cet épisode, qu’il a pris au sérieux».

Contacté par téléphone et par email, le Dr Bellecombe n’a pas souhaité nous répondre. Mais à la procureure, il a indiqué «ne pas se souvenir de menace d’une expertisée» et avoir quitté la clinique en raison «d’une charge de travail devenue trop importante».

Ce courrier de sept pages faisant office de complément d’expertise est facturé à la Zurich 3850 francs, pour 11 heures de travail.

«Les autres ont été broyés»

Anne et ses avocats font alors à nouveau recours. Mais l’assurance n’en démord pas et le 11 juillet 2016, la Zurich confirme sa décision.

Une situation qui pousse Anne à porter plainte pour faux dans les titres le 9 septembre 2016. ‭«Je n’étais pas capable de fonctionner sans [ma famille]. Impossible de vider la boîte aux lettres ou de me rendre à des rendez-vous, voire même de lire. Sans elle, je n’aurais pas pu attaquer Corela et continuer à vivre.»

Philosophe, Anne sait que son heure viendra. ‭«Il a réussi à écraser tout le monde, je suis le cas qui reste. Les autres ont été broyés, ils n’ont plus la force de se battre. Mais j’ai une grosse personnalité, je suis comme un roquet, je m’accroche avec les dents.»

Sa plainte atterrit sur le bureau du procureur Antoine Hamdan le 20 septembre 2016. De façon surprenante, celui-ci rend une non-entrée en matière en novembre. Anne fait à nouveau recours. Entre-temps, une ancienne experte de la clinique fait une dénonciation, si bien que le procureur fait machine arrière et retire sa décision de classement.

Perquisitions tardives

Un an plus tard, le 30 janvier 2018, la chambre des assurances sociales donne partiellement raison à Anne, estimant que ‭«le rapport d’expertise et son complément ne remplissent pas les conditions formelles permettant de leur reconnaître une valeur probante». Selon la chambre, ces écrits de Corela se basent sur ‭«des hypothèses non vérifiées, des éléments médicaux lacunaires, [et] appliquent des notions de causalité qui n’ont pas cours en assurance-accidents, contiennent des contradictions, ne sont pas convaincants et sont contredits par les médecins traitants». L’assurance devra donc procéder à une nouvelle expertise. Depuis, elle temporise et l’affaire est encore en cours, treize ans après les faits. Anne a déposé un recours pour déni de justice auprès de la chambre des assurances.

Contactée, la Zurich a refusé de nous répondre, invoquant «la protection des données» de sa cliente. Quant au Dr Moyssonier, après s’être assuré que Heidi.news n’allait pas publier son vrai nom, il dit avoir préparé des réponses de plusieurs pages à nos 17 questions. Mais il n’a accepté de nous faire parvenir ces éléments que si nous acceptions de ne pas révéler le nom des sociétés dans lesquelles il est encore actif — nous avons refusé, et celles-ci seront abordées dans de prochains épisodes.

Le scandale, lui, éclate début février 2018, alors que Corela prend le nom MedLex. Le Tribunal Fédéral entérine la suspension de la clinique pour trois mois. La RTS et la Tribune de Genève s’emparent de l’affaire malgré les tentatives du Dr Moyssonier de les bâillonner avec des mesures superprovisionnelles. Alors conseiller d’Etat, Mauro Poggia rend publique une décision de suspendre la clinique et transmet les éléments au Ministère public. Las, ce dernier attendra 2020 pour perquisitionner les ex-bureaux de Corela et le domicile du Dr Moyssonier. Ils arrivent trop tard: celui-ci a tout détruit.

Un mot sur la photographie en illustration

Dans cette série photographique réalisée dans des call centers désaffectés, Régis Golay explore les vestiges d’un monde de bureaux désertés, figés dans un état d’abandon brutal. Entre mobilier renversé, écrans noirs et papiers éparpillés, le déclin des “cols blancs” prend une allure presque apocalyptique. Photographe et fondateur de Fédéral Studio, Régis Golay travaille entre Genève et Zurich, mêlant approche documentaire et esthétique sculpturale.

NB: cette enquête a bénéficié du soutien du «Fonds d’enquête de la Fondation Gottlieb et Hans Vogt» pour Investigativ.ch, le réseau suisse des journalistes d’investigation. Quant au titre de notre série, «Cynique clinique», c’est un hommage à l’hebdomadaire satirique Vigousse qui a le premier, en 2012, alerté sur Corela, avant d’être obligé de se rétracter par décision de justice.

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