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Olivier Kuhn crée des miniatures horlogères… et c’est du grand art!

Le temps aussi change de mesure. Les secondes durent des heures et les journées n’ont pas de fin. Les détails tournent à l’obsession. C’en est presque inquiétant, mais Olivier Kuhn n’a pas le choix. Il est habité par la pièce finie et, de l’esquisse à la réalisation, s’écoulent des années. Tant que tout n’est pas parfait, il n’arrête pas, cherche, trouve, avance. Et à chaque fois qu’il fait un pas, les limites reculent.

Ses clients le savent. Un surtout: Richard Mille. Olivier Kuhn ne travaille quasiment que pour cette marque d’exception, installée dans les Franches-Montagnes voisines. Sa difficulté principale est de trouver des clients capables d’entrer dans son monde. La collaboration la plus emblématique est le modèle Smiley (référence RM88 Tourbillon automatique maison Smiley) présenté en 2022. Une montre très sérieuse, vendue 1,2 million de francs à sa sortie, mais souriante et légère comme un cornet-surprise. Soleil, ananas, cactus, flamant rose d’un côté. Cocktail de l’autre, neuf millimètres de haut, verre en or massif givré par la boisson glacée, avec cerise, ombrelle et paille. L’ombrelle est rose, tendue sur ses 12 baleines. La paille avec sa section accordéon courbée n’est pas plus épaisse qu’un copeau. Sept petits objets par montre, commandée en 53 exemplaires, plusieurs années de préparation, deux ans de travail pour boucler le mandat.

Une miniature créée pour la montre Smiley de Richard Mille, une pièce éditée à 53 exemplaires et vendue 1,2 million de francs à sa sortie. — © Courtoisie Olivier Kuhn

Une miniature créée pour la montre Smiley de Richard Mille, une pièce éditée à 53 exemplaires et vendue 1,2 million de francs à sa sortie. — © Courtoisie Olivier Kuhn

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Hélas, maîtriser l’indicible ne rend pas invincible. Le coup de froid qui a soufflé sur l’horlogerie l’an dernier a aussi traversé l’atelier. Olivier Kuhn s’est momentanément séparé de ses trois collaborateurs. Il travaille seul depuis le mois de février, mais c’est temporaire, assure-t-il. Les projets n’ont été que reportés, son carnet de commandes s’étire jusqu’en 2027 et il prévoit déjà de réembaucher dès le mois de mai. «Les membres de l’équipe ne sont plus là [montrant les établis vides], mais ils sont toujours là [prêts à revenir].»

En attendant, philosophe, le sculpteur collecte les miettes de temps laissées par le mauvais vent de la conjoncture: «L’univers fait bien les choses. L’année passée a été compliquée… Mais elle a été importante, parce qu’on a fait ça!» «Ça», c’est sa deuxième création personnelle. La première lui a pris deux ans et demi, dont 800 heures de gravure, à gratter chaque écaille du monstre, à polir ses griffes et bercer ses barbillons tordus comme des flammes. Tout a quasiment doublé pour la suivante: quatre ans de travail, 1500 heures de gravure, et elle n’est pas encore finie. Il se pourrait qu’elle le soit cet été, d’ici-là, motus.

Mais Olivier Kuhn veut tout montrer, comme un directeur de cirque devant son nouveau lion. D’un regard, il vous fait signer un contrat de confidentialité. D’une main, il allume le dispositif vidéo, une caméra braquée sur l’établi, reliée à un écran géant. De l’autre il attrape une paillette d’or, qui devient une patte de colosse. Avec chaque détail, la légèreté du poil, le lustre de la griffe, la légère brillance sur le pli de la phalange, vibrante comme si l’animal était au bout. Motus.

«Pas une seule vis!» Privilège de l’artiste, c’est en effet dans l’absence qu’il trouve sa plus grande fierté. — © Courtoisie Olivier Kuhn

«Pas une seule vis!» Privilège de l’artiste, c’est en effet dans l’absence qu’il trouve sa plus grande fierté. — © Courtoisie Olivier Kuhn

Chirurgien de la vis cachée

Quant à sa première montre, La Perle du Dragon, elle passe ses derniers mois dans le Jura. Au moment de la rencontre, début février, elle était démontée. Le temps des ultimes préparatifs avant de partir dans le grand monde, en passant par Singapour où une vente aux enchères est prévue. L’estimation de départ est à six ou à sept chiffres. Olivier Kuhn a beaucoup hésité: «Comme je ne cherche pas vraiment à vendre, je l’ai gardée jusqu’à présent.» Elle servira à financer la suivante. Il est trop tôt pour en parler, mais tous les éléments qui la composent sont déjà prêts, éclatés dans de petits casiers.

L’artiste regarde les pièces détachées comme si quelqu’un d’autre les avait faites. Il voit le boîtier, s’enflamme: «Pas une seule vis!» Privilège de l’artiste, c’est en effet dans l’absence qu’il trouve sa plus grande fierté. Non seulement aucune vis n’est apparente, mais encore aucune jointure ne se voit. Car ses sculptures sont des puzzles. Des assemblages plus fins que de l’horlogerie, réalisés avec une précision au centième de millimètre. Il le prouve sous son binoculaire avec la jambe d’un dragon qu’une flamme est en train de dévorer. D’un doigt massif comme un ours devant le chas d’une aiguille, il déboîte les deux parties qui ne semblaient faire qu’une. Laissant apparaître un logement vrillé que lui seul sait comment façonner. Avant de tout recliper.

Pour réaliser ses sculptures, il a développé une science du découpage, activée dès la conception par ordinateur. Un motif est fait d’autant de pièces qu’il faut pour pouvoir les travailler, graver les plus infimes textures, polir ou satiner les plus indicibles détails. Sans jamais qu’un raccord apparaisse. Masquer les astuces de construction. Prévoir les tenons et les gorges où la soudure laser laissera une cicatrice invisible. Sans jamais perdre de vue la manière de tout assembler. Un métier en soi, d’une complexité totale: sous quel angle faire entrer les parties dans la montre? Dans quel ordre procéder? Comment les fixer? Cette étape clé est préparée en amont, avec l’attention d’une intervention de microchirurgie. Des simulations informatiques sont effectuées en même temps que le modelage. Chaque geste est étudié. La gamme opératoire est aussi minutieuse que celle d’une montre à sonnerie cathédrale.

Une fois le motif virtuellement achevé et testé, les éléments partent au casting, coulés en or comme des pièces de joaillerie. C’est sur cette matière brute que le sculpteur-chirurgien et son équipe opéreront pendant des centaines d’heures. Les gestes viennent du bijou. Tout vient de là, les établis, les outils de main, les posages en cire, la soudeuse laser. Et quand les échoppes sont trop grandes, elles sont taillées sur mesure, tordues et affûtées au centième de millimètre.

La première montre d’Olivier Kuhn: La Perle du Dragon. Au centre, une miniature exceptionnelle d’un dragon impérial chinois, qui aura nécessité deux ans et demi de travail. — © Courtoisie Olivier Kuhn

La première montre d’Olivier Kuhn: La Perle du Dragon. Au centre, une miniature exceptionnelle d’un dragon impérial chinois, qui aura nécessité deux ans et demi de travail. — © Courtoisie Olivier Kuhn

Le huis clos de l’artiste technicien

L’esthétique est soignée avec la même rigueur. Supplément d’art, le motif doit «avoir une âme», être «vivant», «organique», jusqu’à «sentir le vent dans la crinière du dragon». Le sculpteur et le technicien dialoguent ainsi, négocient, luttent, à huis clos dans la tête d’Olivier Kuhn. Des jours et des nuits à brûler son énergie mentale. Comme une obsession créative dont l’emprise ne se relâchera qu’une fois la pièce achevée. «C’est… maladif! Je ne vois que la finalité. Je ne peux pas m’arrêter avant de tenir la montre dans la main.» Son drame, c’est qu’avec la maîtrise, il veut toujours aller plus loin et le chemin vers la réalisation se rallonge. Toujours plus extrême: «Je ne sais pas pourquoi… Je n’aime pas faire les choses de manière simple.» Toujours plus exigeant: «Dans ce genre de projets, il ne faut pas se perdre, pas se décourager, pas se détourner.»

La véritable difficulté, explique-t-il, est de trouver les bons partenaires de jeu. Rares sont les marques capables de comprendre et valoriser la démarche dans des pièces hors limites, sans abandonner en cours de route – et accessoirement en parvenant à les vendre. Richard Mille coche toutes les cases: sans limites, ni de temps ni de moyens. Olivier Kuhn n’a pas d’autres clients en ce moment, mais cela pourrait changer, une légère diversification est prévue. Il y a quelques années, il a œuvré pour le genevois MB&F et d’autres fabricants de montres bien perchées. Loi du genre: Olivier Kuhn ne peut pas mentionner lesquelles, tenu au silence par des accords de confidentialité. Mais son livre d’or témoigne de l’impressionnant bestiaire qu’il a déjà derrière lui.

Dire qu’il n’y a pas si longtemps, ces mains qui manucurent les fourmis tremblaient d’impatience, noires d’huile de carter. Olivier Kuhn ne vient pas de la montre ni du bijou. Il n’est pas né artiste. Il n’est même pas Jurassien. Il a grandi en Haute-Savoie et s’est formé comme mécanicien moto à 15 ans. Il a quasiment appris tout le reste en autodidacte. Sa première sculpture est un pari lancé il y a 10 ans. Olivier Kuhn était en train d’étudier l’horlogerie et les logiciels de conception 3D quand il propose de faire un dragon à une micro-marque de la vallée de Joux (Cabestan, qui a fermé depuis).

Il n’aurait jamais tenu ce pari sans retour s’il n’était pas parti en Californie à 24 ans pour un tour de grosses cylindrées, surf et beach parties. Si sa route n’avait pas croisé celle de Florian Preziuso, horloger indépendant de père en fils, à Genève. S’ils ne s’étaient pas mis au défi de customiser un chopper et de faire une montre pour aller avec. Et si Olivier Kuhn n’était pas venu s’installer dans le Jura pour y fonder une famille. A 43 ans, l’ex-mécano n’a toutefois renoncé à rien. Le surf toujours prêt pour un Point Break à Fuerteventura. Le V8 de sa Chevrolet Impala 1958 orange feulant dans un coin de sa tête.

Lire aussi: Les secrets de l’horlogerie mécanique: au-delà du simple remontage

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