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« Le travail est la solution », de Bertrand Martinot et Franck Morel

La question du travail est à la mode… du moins en librairie, pas forcément dans les têtes. Après « La France doit travailler plus… » de Denis Olivennes, « L’ère de la flemme » d’Olivier Babeau, « Sortir du travail qui ne paie plus » d’Antoine Foucher, pour ne citer que les plus médiatisés, voilà « Le travail est la solution », sous-titré « Réconcilier les Français avec le travail » de Martinot et Morel.

Bertrand Martinot et Frank Morel sont des spécialistes reconnus de la question, ayant conseillé ministres du travail, Premier ministre et président de la République, mais aussi des praticiens ayant exercé comme inspecteur du travail, avocat, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ou consultant.

Un déficit de travail

Leur ouvrage, roboratif mais facile à lire, complet et bien documenté, se divise en trois parties. Dans la première, les auteurs veulent nous convaincre – et ils arrivent largement – que nous n’en avons pas fini avec le travail. A rebours de tous les déclinistes qui entrevoient la fin, plus ou moins prochaine, du travail, les auteurs pensent que « le travail assure aujourd’hui encore des fonctions sociales qu’aucune autre activité humaine, fût-elle socialement parmi les plus utiles et individuellement parmi les plus gratifiantes, ne saurait remplacer ». Reprenant une formule de l’ancien ministre Xavier Darcos, ils considèrent qu’il y a « pire que le stress au travail, c’est le stress au chômage » ! Et si le travail peut faire souffrir, il reste encore source de satisfaction pour nombre de Français (70% à 75% d’entre eux déclarent être « satisfaits » ou « plutôt satisfaits » de leur situation professionnelle).

Pour autant, Martinot et Morel ne nient pas que le travail d’aujourd’hui (et a fortiori celui de demain) ne ressemble pas à celui d’hier. Nous sommes bel et bien entrés dans un « nouvel âge du travail ». Parmi les bouleversements en cours, citons pêle-mêle, sans prétendre à l’exhaustivité, le brouillage des frontières entre travail et non-travail, la porosité de celles entre salariat et non-salariat, la révolution de l’intelligence artificielle (IA), le développement des horaires atypiques, le ralentissement de la productivité, l’augmentation du stress et des pathologies psychiques, la difficulté pour un nombre grandissant de salariés à accepter le rapport de subordination et, parallèlement, l’aspiration à davantage d’autonomie, la quête de sens, le développement ambigu de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), etc.

Surtout, nos deux experts pointent le « déficit de travail » que connaît notre pays, les Français étant, comme l’IREF le montre régulièrement, parmi les Européens qui travaillent le moins au cours d’une vie. Cela ne va évidemment pas sans poser de problèmes alors que nos dépenses sociales croissent « à un rythme plus élevé que celui de la richesse nationale ».

Dans leur deuxième partie, Martinot et Morel tentent de comprendre « pourquoi nous avons échoué à revaloriser le travail ». Leur démonstration est sans appel et particulièrement sévère, si l’on y réfléchit bien, à l’encontre les politiques qui se sont succédés aux affaires ces dernières décennies, quelle que soit leur couleur politique.

Les auteurs dénoncent ainsi successivement les « mirages de la réduction du temps de travail » (qu’ils font curieusement remonter aux années 1990, oubliant 1981 et la retraite à 60 ans, la semaine de 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, l’instauration d’un jour férié le 8 mai …), la surtaxation du travail, la smicardisation de la société, les effets pervers de la retraite par répartition, la trop lente évolution du droit, etc.

Comment travailler plus ?

La troisième partie de l’ouvrage de Bertrand Martinot et Franck Morel, intitulée « Faire le choix du travail », est consacrée aux suggestions. Sans doute les deux auteurs se réjouissent-ils des propositions faites par le Premier ministre pour le budget 2026, en particulier de la suppression de deux jours fériés et la monétisation de la cinquième semaine de congés payés, qui vont dans le sens de leur exhortation à « travailler plus ».

Nombre des recommandations faites par les deux experts vont dans le bon sens et nous pourrions, de prime abord, les faire nôtres : faciliter dans la loi la hausse du temps de travail, introduire de meilleurs incitations sociales et fiscales, inciter au report de l’âge effectif de départ à la retraite, tout revoir en matière de smic et d’allègements de charges, transférer des cotisations sociales sur des impôts à base plus large, réexaminer les modes de prise en charge des dépenses de santé, introduire un pilier par capitalisation dans le système de retraite, libérer le travail salarié, revoir le système d’indemnisation des arrêts maladie, etc.

Sur certains sujets, nous ne les suivons pas du tout. Par exemple quand ils souhaitent étendre la participation à toutes les entreprises et imaginent une « usine à gaz » pour mutualiser la participation entre grandes et petites entreprises, nous préférons supprimer toute obligation en la matière (et en matière d’intéressement aussi). Ou bien quand ils veulent étendre les garanties sociales des travailleurs indépendants et prévoir une couverture prévoyance obligatoire pour tous, nous militons pour que la liberté de s’assurer (ou non) soit la règle.

Nous n’acquiesçons pas non plus à leurs idées sur la réduction forcée du nombre de branches professionnelles, sur le maintien du monopole syndical dans les négociations et au premier tour des élections professionnelles. En revanche, leur proposition de réserver certains avantages des accords collectifs aux seuls membres des syndicats qui ont signé l’accord mérite d’être approfondie. A condition toutefois que l’on fasse la même chose pour les employeurs, c’est-à-dire qu’on arrête d’étendre les accords de branche ou les accords interprofessionnels pour qu’ils ne s’appliquent qu’aux entreprises membres des organisations patronales signataires.

L’ouvrage a le mérite de lancer le débat sur de nombreux sujets touchant à la législation sur le travail. Nous regrettons cependant que Martinot et Morel restent bien souvent au milieu du gué, dans un entre-deux qu’ils considèrent probablement comme « réaliste ». Sans doute souhaitent-ils « préserver notre modèle social » et s’efforcent-ils de rester dans le délétère « en même temps » macronien ou, si l’on préfère, d’être Philippe-compatibles (Franck Morel ayant été conseiller de l’ancien Premier ministre). Nous aurions aimé que les auteurs fassent preuve de davantage d’audace, qu’ils pensent « out of the box », qu’ils admettent que c’est notre « modèle social » qu’il faut changer… et que nous pourrions commencer par privatiser l’assurance-chômage et les assurances sociales, et mettre en place le salaire complet.

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